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Portrait de Joe Resnick sur les sièges d'une salle de sport
La profession

Joe Resnick, de comptable à agent de joueurs de la LNH

Récit d’un parcours semé d’embûches, entre ses débuts comme jeune comptable dans un grand cabinet et son rôle de représentant des meilleurs joueurs et espoirs du hockey.

Portrait de Joe Resnick sur les sièges d'une salle de sportJoe Resnick baigne dans l’univers du hockey depuis toujours, et y œuvre depuis 27 ans. C’est un ovni dans son domaine : un agent de haut calibre, formé en comptabilité. (Photo Daniel Ehrenworth)

Feuilletez l’agenda de Joe Resnick, qui représente des étoiles du hockey, et deux choses vous sauteront aux yeux. 

D’une part, c’est une personne organisée. Son agenda est un véritable kaléidoscope. Les dates sont surlignées en vert, les noms, en bleu, les villes, en jaune. Notes, numéros, dates, interlocuteurs, teneur des conversations, la somme des informations consignées avec minutie impressionne. 

D’autre part, l’homme ne tient pas en place. Les pages qu’il montre à la webcam – une semaine de janvier – indiquent des déplacements à Aurora, à Mississauga, à Peterborough, à Oshawa et à St. Catharines. La semaine suivante est encore plus chargée. 

Joe Resnick, 54 ans, baigne dans l’univers du hockey depuis toujours, et y œuvre depuis 27 ans. C’est un ovni dans son domaine : un agent de haut calibre, formé en comptabilité. 

« L’agenda me trahit. Toutes ces habitudes, c’est mon titre de CPA qui parle, c’est de la tenue de livres. » Une des nombreuses méthodes héritées de son passé, qui a façonné sa manière de travailler.

L’agent est l’interlocuteur privilégié du joueur. Il doit exceller en résolution de problèmes et en négociation, où il se montrera juste mais impitoyable. Pour certains clients, Joe Resnick a réussi à décrocher des contrats de dizaines de millions de dollars. Mais à d’autres, il faut annoncer qu’aucune équipe ne veut d’eux. Quand il n’est pas au téléphone, ce qui est rare, il assiste à des matchs pour recruter des talents. Au total, les heures qu’il a passées dans les arénas des ligues de hockey mineur (et au volant de sa voiture) se comptent par milliers. Sans oublier les innombrables entretiens avec de jeunes espoirs et leurs parents, appelés à décider s’ils peuvent confier l’avenir de leur adolescent à un agent comme lui.

Qui aurait cru qu’il quitterait un grand cabinet de comptabilité pour cofonder Top Shelf Sports Management, qui représente des pros du hockey? Il s’est entretenu avec nous de son bureau à la maison, à Toronto, où les murs, tapissés des photos de ses clients, témoignent de sa réussite. Top Shelf représente près de 60 joueurs de la Ligue nationale de hockey (LNH), dont Joe Thornton et Logan Couture, ainsi que de jeunes espoirs, dont les étoiles montantes Akil Thomas et Ryan O’Rourke.

Il faut du cran pour affronter de grandes agences comme Newport et Creative Artists Agency (CAA). Réussir à se hisser à leur niveau n’était pas une mince affaire, mais Joe Resnick s’est appuyé sur un avantage unique, son bagage de CPA. Et c’est aussi sa débrouillardise, son esprit d’entreprise et sa propension à tout risquer qui l’ont mené là où il est.

Son parcours est un véritable guide pour qui veut réaliser un rêve, mais aussi un rappel à la réalité. Le chemin sera semé d’embûches.

Portrait de Joe Resnick debout au milieu d'une rangée de sièges dans une salle de sport.Même si pendant quelques années le hockey ne lui a rien rapporté, Joe Resnick n’a jamais renoncé à devenir agent de joueurs. (Photo Daniel Ehrenworth)

Ses parents de Joe Resnick lui disaient qu’il avait le hockey dans le sang. Il a grandi à Toronto et, fervent partisan de la LNH, il suivait de près le recrutement amateur, tenu tous les ans. Les équipes de la LNH sélectionnaient alors des joueurs des rangs juniors, dans l’espoir qu’ils deviennent un jour des athlètes d’élite. Chaque année, le jeune homme se procurait le guide du recrutement amateur et l’étudiait assidûment, comme s’il préparait ses examens d’admission à la profession comptable

L’un de ses meilleurs amis, Brian Wilks, étoile des Rangers de Kitchener, équipe de la Ligue de Hockey de l’Ontario, serait par la suite repêché à la seconde ronde de la LNH. Tous les vendredis soirs, Joe accompagnait les parents de Brian dans les gradins. Après un match à Kitchener, il a vu son ami discuter avec un homme plus âgé, qui lui a fait forte impression; on voyait que c’était quelqu’un.

« Qui est-ce? », a-t-il demandé. 

« C’est mon agent », de répondre Brian. 

Joe Resnick sait bien que les professionnels ont un agent, mais en voir un en personne pique sa curiosité. Sitôt rentré à la maison, il se met à faire des recherches sur tous les aspects du métier, et sur l’itinéraire à emprunter pour devenir agent de joueurs. 

Néanmoins, le hockey reste un rêve, et c’est la comptabilité qui sera la voie choisie. Un choix naturel pour ce jeune homme doué pour les chiffres. En 1985, il entreprend ses études en commerce à l’Université de Toronto, un excellent tremplin pour exercer un jour la profession de comptable. Il sera le premier de sa famille à fréquenter l’université. Son diplôme en poche, en 1990, l’entrée dans un grand cabinet coule de source.

C’est chez Coopers & Lybrand (C&L), l’un des cabinets fondateurs de PwC, au centre-ville de Toronto, qu’il fera ses premiers pas. Au bout d’un an, Joe Resnick passe au groupe des services aux entrepreneurs, et en profite pour interroger ses clients sur le démarrage d’entreprise, sur leur parcours et sur les leçons à retenir.

Joe Resnick gravit les échelons, mais sa vraie passion est ailleurs. Il passe de longues journées au travail, ce qui l’empêche de se consacrer au repérage et au recrutement de joueurs. « Si je voulais devenir agent, il me fallait un travail moins prenant. » Après quatre ans chez C&L, il décide de trouver un poste en entreprise, de 9 à 5.   

Il finira par devenir conseiller aux finances à Omnilogic, jeune entreprise de logiciels fondée par quatre anciens de SAP, qui sera rachetée par IBM. Dès l’entrevue, Joe Resnick joue la transparence et annonce qu’il espère devenir un jour agent de joueurs. Sa franchise et son ambition plaisent, et on l’embauche.  

Il annonce donc son départ à un associé de C&L, qui lui demande : 

« Ont-ils un bureau? »   

« Non », répond Joe Resnick. 

« Combien vont-ils te payer? » 

« Moins que ce que vous me donnez. » 

« Pas de bureau et moins d’argent? Bonne chance! »

Le 26 octobre 2017, environ une heure après la victoire des Rangers de New York sur les Coyotes de l’Arizona en début de saison au Madison Square Garden, Joe Resnick s’apprêtait à fêter le millième match de Rick Nash, attaquant des Rangers. Seuls quelque 350 joueurs ont atteint ce jalon en un siècle d’histoire de la LNH. Joe Resnick a réservé tout un restaurant de Manhattan pour les proches du joueur, qui arborent des épinglettes sur mesure afin de souligner les mille matchs.

Nash, 36 ans, était l’un des premiers clients de Joe Resnick et certainement le plus accompli, fort de trois médailles olympiques (dont deux médailles d’or) et de six participations au Match des étoiles de la LNH. À sa sortie des ligues de hockey junior à Brampton, en Ontario, il était déjà un espoir convoité. À 14 ans, il s’engageait sur le chemin de la gloire, et ses parents l’avaient présenté à plusieurs agents, dont Joe Resnick. À l’occasion d’un match des IceDogs de Mississauga, l’étoile montante et Joe Resnick avaient discuté de son avenir. L’adolescent avait remarqué l’aisance et l’ouverture de l’homme. « L’agent doit pouvoir donner un coup de main au joueur dans toutes les situations, sur la patinoire comme à la maison. La communication était facile, et j’ai senti qu’on pouvait tout se dire. »

« Joe m’a offert un service hors pair, sur mesure, ajoute le hockeyeur, retraité depuis 2019. Il me rappelait tout de suite, et je pouvais compter sur lui. »

Au repêchage de la LNH de 2002, Nash est choisi en priorité par les Blue Jackets de Columbus. Il signe le plus gros contrat de l’histoire de la ligue pour un jeune joueur, à l’époque : trois ans à 1,2 M$ US par saison.

À l’approche de la fin du contrat, en 2005, Joe Resnick et Doug MacLean, le directeur général des Blue Jackets, renégocient. L’équipe offrait 12 M$ sur trois ans, la norme pour un jeune joueur vedette à ce moment-là. Joe Resnick refuse. Nash risque de partir sur le marché des joueurs autonomes, et Doug MacLean veut désespérément le retenir. Joe Resnick en profite pour obtenir le maximum pour son jeune talent.

« Pourriez-vous envisager un contrat à plus long terme? » demande Doug MacLean. « À condition d’obtenir davantage », lui répond Joe Resnick. Les deux parties finissent par s’entendre sur un contrat de cinq ans et de 27 M$ US. De quoi créer un précédent. Les étoiles qui suivent, comme Corey Perry, Ryan Getzlaf et Phil Kessel, profiteront de contrats prolongés tout aussi avantageux. 

Il y aura surenchère pour le prochain contrat de Nash – 62,4 M$ US pour huit ans –, mais c’est ce contrat de 27 M$ US dont Joe Resnick est le plus fier. « Cette victoire a été un tremplin pour moi et m’a donné une légitimité comme agent. »

1 000<sup>e</sup> match joué par Rick Nash, 2017Rick Nash a joué son millième match en 2017. (Photo Jared Silber)

La page C&L tournée, Joe Resnick est prêt à entamer un nouveau chapitre comme conseiller aux finances chez Omnilogic. Mais dès la première journée, on lui annonce un changement : pour satisfaire le principal client, Union Gas, 80 % du travail de Joe Resnick sera réalisé à Chatham, à l’ouest de Toronto. Trois heures de route.

Les 18 mois qui suivent sont pénibles. Levé à 5 h 30 le lundi pour se rendre à Chatham et commencer sa semaine, Joe Resnick séjourne à l’hôtel jusqu’au jeudi ou au vendredi, puis retourne à Toronto. 

Pendant cinq ans, il passe son temps libre à écumer les matchs de ligues de hockey junior à la recherche d’un diamant brut, ou d’un joueur qui lui ferait confiance. Les lundis, il se rend à London ou à Windsor. Les mardis, il s’aventure jusqu’à Petrolia ou à Sarnia. Les mercredis sont passés à St. Thomas, et s’il ne revient pas à Toronto les jeudis, il assiste à un autre match à Windsor. « C’était l’enfer, admet-il. J’étais fatigué. » Et les résultats se font attendre.

« J’ai beaucoup appris, mais le hockey ne me rapportait pas un sou. Heureusement, mon travail de conseiller m’assurait des rentrées confortables, et je continuais à jouer l’apprenti agent. »

En quittant C&L en 1994, il s’était donné cinq ans pour réaliser son rêve. Le temps avait passé. Il craignait de devoir s’avouer vaincu.

La Coupe Stanley n’a voyagé qu’une seule fois à Woodstock, en Ontario, par une chaude journée de juillet 2014. Joe Resnick y était. Comme tous les gagnants du championnat, son client Jake Muzzin, alors défenseur des Kings de Los Angeles, s’était vu confier le trophée légendaire le temps d’une journée pour l’exhiber fièrement dans sa ville natale. Au programme des festivités, un défilé, une séance de signature d’autographes, et un barbecue entre amis, avec toute la parenté. Après dix années à représenter Muzzin, Joe Resnick avait l’impression de faire partie de la famille. 

En 2004, il s’était rendu chez les parents du jeune Jake pour proposer ses services. Un talent prometteur, qui jouait pour les 99ers de Brantford, un club de ligue mineure, un niveau au-dessous de la Ligue de hockey de l’Ontario. Plusieurs agents avaient appelé les Muzzin, mais seul Joe Resnick s’était déplacé, un geste qui avait fait bonne impression. 

« Il nous a présenté ses atouts », se souvient Jake Muzzin, 31 ans, qui joue pour les Maple Leafs de Toronto. « Mais pour ma famille, l’important, c’était de trouver un gars de confiance pour m’accompagner dans l’aventure. » 

Et d’ajouter : « Il se bat comme un lion pour défendre ses joueurs. Que demander de plus? »

Joe Resnick et Jake MuzzinJoe Resnick et Jake Muzzin (Avec l’autorisation de Joe Resnick)

Les cinq années que Joe Resnick s’était accordé pour réussir tiraient à leur fin, mais il avait du mal à renoncer à son rêve. Fin 1998, il croise une connaissance, Brad Robins, ancien moniteur de camp de vacances, à un tournoi de hockey. « Je monte une nouvelle agence », lui dit-il. « Encore un qui s’imagine pouvoir réussir dans l’univers du hockey », pense Joe Resnick. 

Mais Brad Robins avait un atout dans sa manche : un associé du nom de Gord Kirke. 

Un nom connu dans les coulisses du hockey. Avocat, Kirke s’était reconverti comme agent et comptait parmi ses clients Eric Lindros, espoir vedette du début des années 1990. D’ailleurs, à l’époque où il voulait se lancer dans l’aventure du hockey, Joe Resnick avait envoyé son CV à Gord Kirke. De réponse, nulle trace. 

Et voilà que l’avocat s’associait à Brad Robins et à Gord Stellick, ancien directeur général des Maple Leafs, pour créer une nouvelle agence, KSR Sports Representatives. « J’avais consacré des heures, des jours, des années à ma passion, se rappelle Joe Resnick. Et soudain, j’ai senti que le vent allait tourner. » En janvier 1999, il entrait à KSR comme directeur du hockey junior, tout en continuant à exercer comme conseiller. 

Au repêchage de la Ligue de hockey de l’Ontario en 1999, aucun des joueurs recrutés par Joe Resnick n’a été sélectionné aux deux premières rondes. L’échec était incontestable. « J’ai cru que j’allais demeurer conseiller le reste de mes jours. » 

La cuvée 2000 du repêchage de la ligue en question allait chasser cette impression. Rick Nash, le jeune client de Joe Resnick, était l’un des nouveaux les plus attendus. Tous les regards se tournaient vers ce colosse de 6 pi 4 po, qui alignait les buts. Il a été sélectionné au quatrième rang par les Knights de London, et a figuré parmi les trois joueurs de Joe Resnick retenus dès la première ronde. L’année suivante, l’agent a répété l’exploit avec trois choix de première ronde. Il commençait à se tailler une réputation. 

Recruter des joueurs est un travail ingrat qui se fait dans l’ombre. Même Gord Kirke, lassé, avait décidé de jeter l’éponge. Joe Resnick se souvient de la goutte qui a fait déborder le vase, une visite chez un jeune espoir, dans une petite ville ontarienne. « Gord, un brillant avocat, essaie de convaincre la famille, rivée à la télévision, qui diffuse le match des Leafs. Et voilà que le chien, excité, chevauche sa jambe avec ardeur. À la fin de la visite, le père marmonne : “On va réfléchir”. »

Quand Joe Resnick et l’avocat sont sortis dans la nuit glaciale, ce dernier a lâché : « J’arrête. » 

Plus tard cette année-là, en 2004, les associés de KSR décident de céder leur entreprise à une grande société d’agents sportifs, International Management Group (IMG). Joe Resnick suit le mouvement, comme un joueur échangé. Il s’attelle au développement de la clientèle d’IMG et réussit enfin (dix ans d’efforts) à abandonner son travail de conseiller.

Victoire à célébrer ou défaite à déplorer, parfois, quand un agent téléphone à son client, c’est l’un ou l’autre. On ne choisit pas. Évidemment, si Joe Resnick a décidé d’entrer dans le métier, c’était surtout pour pouvoir annoncer à ses joueurs d’excellentes nouvelles. C’est ce qu’il a eu le plaisir de faire le jour où il a appelé John Mitchell au cours de l’été 2012. 

Joueur des Maple Leafs la saison précédente, Mitchell avait été reclassé dans les ligues mineures, puis échangé. Désormais agent libre, il pouvait signer avec n’importe qui. Mais seule l’Avalanche du Colorado s’intéressait à lui.   

Joe Resnick et lui espéraient obtenir un contrat d’un an pour 875 000 $. On leur offre 1,1 M$. « C’est un contrat de deux ans? », de tenter Joe Resnick. Et l’équipe de confirmer.

Vite, il appelle son client. « Mitch, ils proposent deux ans à 1,1 M$. »

« Donc 550 000 $ par année, Joe? » 

« Non, Mitch. 2,2 M$ au total. » 

Et les deux de fondre en larmes. « Ce n’était pas un contrat record, mais pour Mitchell, un gars en or, c’était énorme. »

Et puis, il y a les entretiens qu’on redoute. Comme le coup de fil de 2017 à Peter Holland, ancien de la LNH. « Non, rien pour le moment. » Ou l’appel encore plus décevant à son principal client, Rick Nash, en 2019. Il n’avait que 34 ans et désirait jouer encore quelques années, mais il devait accrocher ses patins pour de bon, victime d’une série de commotions cérébrales. « Nous étions émus, face à notre impuissance. Rick ne pouvait plus jouer, et c’était déchirant. »

« Joe reste aux côtés de ses clients, souligne Nash, pour le meilleur et pour le pire. »

John Mitchell dans un match de hockeyReclassé puis échangé en 2012, John Mitchell a quand même décroché un contrat de 2,2 M$. (Photo Michael Martin)

Un matin de 2006, Joe Resnick trouve les bureaux d’IMG quasi vides. L’agence se délestait de ses divisions sportives au profit de sa rivale, CAA. La division du football était la première à partir. Celles du baseball et du hockey suivraient.   

John Thornton, agent et collègue de Joe Resnick à IMG, était le frère aîné et l’agent de Joe Thornton, étoile de la LNH. « Tu prends Rick Nash, je prends mon frère, et on crée une dynastie », avait-il suggéré plusieurs fois, mais Joe Resnick y avait toujours vu une plaisanterie. D’ailleurs, vu que Thornton n’était pas sous contrat avec IMG, il était libre de s’en aller quand bon lui semblait. 

Encore une fois, Joe Resnick se sentait comme un joueur qu’on échange sans le consulter. La proposition de John Thornton devenait plus pressante. « C’est maintenant ou jamais », pensa-t-il. Mais quand il voulut résilier son contrat, les choses tournèrent au vinaigre.   

On lui donna un ultimatum : qu’il laisse ses joueurs derrière lui et il pourrait partir. Ou qu’il prenne ses joueurs, mais il lui faudrait sortir son carnet de chèques. IMG exigerait de lourds dédommagements. 

Céder ses clients aurait été suicidaire sur le plan professionnel. Il engagea donc des négociations, qui allaient s’étaler sur 18 mois, pour pouvoir quitter l’agence avec ses joueurs et lancer sa propre affaire, Top Shelf, au côté de John Thornton. 

La peur que le projet tombe à l’eau était constante. « Impossible de faire marche arrière. Quand on annonce son départ, la dynamique n’est plus la même, et il faut aller de l’avant », explique-t-il. 

Comme Tom Cruise dans Jerry Maguire, film de 1996 où brillait aussi Cuba Gooding Jr., Joe Resnick devait convaincre ses clients de quitter IMG pour le suivre. « Rien ne changera pour vous », leur promettait-il. Au bout du compte, sur 25 joueurs, 23 le suivirent. 

« Je faisais entière confiance à Joe », ajoute Nash, qui avait déjà suivi Joe Resnick de KSR à IMG, avant d’atterrir à Top Shelf. « C’était logique que Joe lance sa propre agence pour pouvoir récolter les fruits de son travail auprès de ses joueurs. J’étais ravi pour lui. » 

Joe Resnick a fini par négocier un règlement avec IMG et a dû verser de lourdes indemnités, étalées sur un an : « Des centaines de milliers de dollars », précise-t-il. Pour établir le prix de la liberté, il a même proposé des calculs de la valeur actualisée. CPA un jour, CPA toujours. 

Le 21 mars 2007, Top Shelf voyait le jour. 

« À chaque étape, mon bagage de CPA a été essentiel, aussi bien pour obtenir le travail de conseiller qui a financé mes premiers pas comme agent que pour quitter IMG. Financement, comptabilité, structure des sociétés par actions, je m’y connaissais. » Et son expérience auprès des PME chez C&L l’a aidé à se lancer. 

Joe Resnick tient les livres de Top Shelf, qui sont tout de même confiés ensuite à un cabinet. « Toutes nos interventions reposent sur les principes de la comptabilité. » 

Et les idées reçues sur les CPA dans le hockey foisonnent. « On croit à tort que je prépare les déclarations de revenus de mes clients et que je gère leur avoir. Mais je ne suis pas en position de le faire, et ce n’est pas mon travail. »

Cela dit, Joe Resnick n’hésite pas à faire profiter ses clients de son réseau de conseillers en services financiers et fiscaux, et leur explique en clair certaines notions techniques. 

Joe Resnick et Rick Nash après le 1 000<sup>e</sup> match du vétéran Joe Resnick est accompagné de Rick Nash, après le millième match de ce dernier. (Avec l’autorisation de Joe Resnick)

En 2014, étudiante en commerce à l’Université Queen’s, Taylor Resnick a dû présenter un entrepreneur qui l’avait influencée. Elle a choisi son père. 

« Armé des compétences qu’il faut, on peut transformer une passion en une carrière », a-t-elle expliqué à ses condisciples.   

« J’étais fier d’entendre ma fille le dire, poursuit Joe Resnick. Je ne suis pas un génie, mais je suis débrouillard. Bien des gens doutaient de moi. On ne m’a rien apporté sur un plateau. »   

Il reste que Joe Resnick a fait bien des sacrifices pour réaliser son rêve. Il travaillait toujours à Chatham, loin de sa famille, quand la petite Taylor est née. « Je téléphonais souvent, mais c’était difficile. » Lors d’un déménagement, il est tombé récemment sur de vieux films tournés en famille. « C’était triste, admet-il. On voit ma femme qui dit aux petits : “Faites coucou à papa!” Je suis passé à côté de beaucoup de choses. J’ai raté des anniversaires et même la remise de diplôme de mon fils, organisée le soir du repêchage. Des années perdues. Mais j’ai pu atteindre mon but et assurer une vie confortable à mes enfants. » 

Ces jours-ci, avec la COVID qui rôde, Joe Resnick est assigné à résidence pour la première fois en 30 ans. Certes, les arénas sont fermés, mais pour le reste, il est aussi occupé qu’avant. Il passe d’un appel à l’autre, multiplie les efforts, et sa liste de clients s’allonge. Il recrute de futures vedettes de la LNH. Proche de ses joueurs, les actifs comme les retraités, il va au-delà du lien habituel joueur-agent. Des amitiés se sont nouées, et Rick Nash confie que lui et Joe Resnick discutent régulièrement. 

« Si vous m’aviez dit il y a 15 ans que Joe deviendrait l’un de mes meilleurs amis après une carrière dans la LNH, je ne vous aurais pas cru, ajoute le joueur. Et pourtant! »

La fortune sourit aux audacieux, dit-on. Et qui ne risque rien n’a rien. C’est le credo de Joe Resnick, le fonceur qui a osé vivre son rêve. 

« Et tout compte fait, résume-t-il, j’en ai marqué, des buts. » 

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