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Un chauffeur de FleetOptics est montré devant une camionnette blanche avec une boîte dans les mains.
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FleetOptics, arme secrète du commerce électronique

Chaque jour, cet innovateur de la livraison au Canada livre 50 000 colis partis des centres de distribution, directement au domicile des clients.

Un chauffeur de FleetOptics est montré devant une camionnette blanche avec une boîte dans les mains.L’application FleetOptics  suit à la trace les envois et détermine quand ils arriveront à destination (Photo Aaron Wynia)

En mars 2020, l’ombre de la COVID-19 plane sur le monde. Au bulletin de nouvelles, voilà que défilent des images de villes fantômes. Soudain confinés, nous nous sommes tous blottis au creux de notre canapé, isolés de nos semblables, entre nos quatre murs. Comment se procurer l’essentiel, quand le coronavirus rôde dans les commerces? Il y a la commodité, mais aussi la nécessité absolue. Pour les aînés fragiles et les personnes immunodéprimées, l’accès à la pharmacie, c’est une question de vie ou de mort.

Les jours deviennent des mois. Les rues sont désertes. Pourtant, à Toronto, à Montréal et à Vancouver, on voit circuler des camionnettes blanches décorées d’un graphique circulaire haut en couleur qui multiplient les arrêts-éclairs, le temps que le chauffeur sonne à la porte d’entrée et dépose un paquet. Que transportent-elles? Mascara, manuels scolaires, antihistaminiques, cafetières… Ces véhicules discrets assurent la liaison entre le point de vente et le client à domicile. C’est la solution qui s’impose pour acheminer, chaque jour, des articles en tout genre, parfois indispensables, et les chauffeurs-livreurs s’activent sans relâche pour relier tous ces points clignotants sur l’appli Google Maps. La livraison à la maison, c’est une bouée de sauvetage, au cœur d’une crise sans précédent.

Ces camionnettes blanches sont celles de FleetOptics, le « Uber » de la livraison. Fondée il y a six ans, l’entreprise, qui s’est forgé une réputation enviable en maîtrisant la logistique du « dernier kilomètre », achemine à une clientèle frétillant d’impatience les colis qui partent des dépôts des détaillants. En cette période de crise où l’achat en ligne règne en roi et maître, on s’arrache les services du transporteur, et ce n’est pas un hasard si Amazon compte parmi ses principaux clients. Les offres Prime font largement appel aux fournisseurs sur place, si bien qu’en trois ans, le chiffre d’affaires de FleetOptics a augmenté de 297 %. 

Il y a deux ans, avant les confinements, l’entreprise a parié sur le commerce électronique. Avec clairvoyance. L’an passé, dans ce marché, les ventes se sont chiffrées à 52,04 G$ (un bond qui frôle 10 G$ par rapport à 2019) et elles devraient dépasser 72 G$ d’ici 2023, avancent les experts. FleetOptics sait pertinemment que le commerce en ligne exige bien plus d’efforts de la part du vendeur que le commerce de détail conventionnel. En combinant technologie de suivi, vastes capacités et connaissance pointue des marchés particuliers, elle a réussi à alléger le fardeau du détaillant.

Les travailleurs de FleetOptic au centre de tri d'OakvilleL’entreprise possède un centre de tri à Oakville et une installation de 25 000 pi2 à Mississauga. (Photo Aaron Wynia)

FleetOptics a été créée en 2015 par John Mann, vétéran de l’industrie du transport, et son ami Vince Buckley, pour qui le camionnage, c’est de famille (Buckley Cartage, entreprise familiale née dans les années 1950, a vu passer quatre générations). John et Vince se sont rencontrés dans les années 1980 à l’Université de Windsor. Un duo complémentaire : Vince, courte barbe argentée, est volubile et extraverti; John, rasé de près, présente l’assurance de ceux qui s’attaquent volontiers aux problèmes. Ils travaillaient déjà ensemble à Agile Logistics, qui aide les transporteurs nationaux et internationaux à rationaliser leurs processus (ils sont d’ailleurs encore associés au sein de l’entreprise). Forts de leur expérience, les deux amis fondent FleetOptics comme solution interentreprises pour le transport des marchandises, du point d’origine vers les détaillants.

En 2018, le tandem travaille déjà pour certains grands détaillants, et délaisse le créneau interentreprises au profit des livraisons aux consommateurs. Le moment décisif arrive cette année-là, lorsque les travailleurs de Postes Canada lancent une série de grèves tournantes qui paralysent pour ainsi dire le courrier. L’approche des fêtes envenime la situation, et des millions de Canadiens attendent des colis qui restent bloqués. FleetOptics prend discrètement la relève.

« Nous avions tout juste assez de place à l’entrepôt, se souvient Vince Buckley. Nous étions entassés les uns sur les autres. Ce n’était pas facile pour nos trieurs. Et puis ce fut le point de bascule, l’expansion subite, et même l’explosion. Il fallait absolument trouver plus grand. » Résultat : la superficie occupée à Mississauga passe de 1 500 à 25 000 pi2. Technologie, machinerie, FleetOptics double la mise et table sur l’efficience.

C’est là que Mike Kee, CPA, quitte son poste chez Sobeys pour se joindre à FleetOptics comme directeur des finances. Sa relation avec Vince Buckley remonte au début des années 2000, quand il était directeur des finances et de l’administration chez Buckley Cartage. « Amazon déployait ses ailes, et le commerce de détail entre entreprises et consommateurs progressait à petits pas. Il fallait, à l’époque, savoir détecter le potentiel de croissance du commerce électronique. John et Vince ont été visionnaires, et nous surfons sur la vague depuis lors. »

L’astuce? S’appuyer sur la mécanique bien rodée de la logistique, chorégraphie complexe qui consiste à acheminer des marchandises d’un endroit à l’autre, et lui adjoindre une innovation émergente : on transmet les données GPS des chauffeurs aux systèmes informatiques, en temps réel. FleetOptics a un atout dans sa manche, une application d’une simplicité déconcertante, pour suivre à la trace les envois et déterminer quand ils arriveront à destination. À Postes Canada, ces prévisions manquent de précision. L’approche de FleetOptics apaise les clients inquiets du sort de leur colis, et donc, pour les détaillants, l’accès immédiat aux données sur le parcours des envois réduit les coûts à engager pour assurer un service à la clientèle attentif. Cette application, fruit du travail d’un programmeur talentueux, s’appuie sur un diagnostic posé par John Mann et Vince Buckley. « On connaissait les lacunes qui pénalisaient les systèmes précédents des transporteurs. » 

Alors, comment se déclinent les étapes, en coulisses? Prenons un exemple. Petit problème, vous êtes à court de votre marque préférée de détergent à lessive, en rupture de stock. Par bonheur, vous parvenez à en trouver sur Amazon. Quel soulagement! Vous cliquez sur le bouton magique : livraison Prime en deux jours. Avec un peu de chance, votre détergent de prédilection a déjà fait le trajet en semi-remorque, parti de l’usine pour arriver à son dépôt temporaire, dans un gigantesque centre de distribution Amazon à proximité de votre domicile. Après avoir reçu votre commande, un robot à roues repère l’étagère où se trouve votre détersif de rêve et l’apporte en zone de tri. Un employé le prend, numérise son code et l’aiguille vers l’emballage pour expédition. FleetOptics s’occupe de la dernière étape : elle récupère les articles à livrer, acheminés à son site, où les envois sont répartis selon les itinéraires prévus. De là, le paquet est chargé dans la camionnette d’un chauffeur-livreur, qui traverse la ville et le dépose sur votre paillasson. Miracle, l’ensemble du processus n’a pris que quelques heures.   

Un ouvrier de FleetOptics charge des boîtesÀ l’heure actuelle, quelque 350 chauffeurs livrent environ 50 000 paquets par jour. (Photo by Aaron Wynia)

Quand on lui demande de se remémorer les premiers jours du raz-de-marée d’achats en ligne déclenché par la pandémie, John Mann parle d’une « vraie cohue ». L’entreprise s’est mobilisée pour assurer les livraisons du jour au lendemain, et le nombre de chauffeurs a bondi, de 100 à 350 environ. Voici une anecdote digne de mention : à Vancouver, en raison d’un retard provoqué par les intempéries, le superviseur du centre a livré lui-même des colis le jour de Noël pour que tout le monde reçoive ses cadeaux à temps. On s’en doute, la pandémie et ses restrictions ont accéléré le tempo. Si votre fille, scolarisée à domicile, a désespérément besoin de fournitures de bricolage pour un atelier virtuel qui a lieu le lendemain, vous allez devoir trouver moyen de vous les procurer sans mettre le nez dehors. Selon Shopify, près de la moitié des consommateurs, à l’échelle du monde, feront plus souvent des achats en ligne une fois la pandémie terminée; le marché de la livraison le jour même atteindra presque 10 G$ en 2022.

Pour FleetOptics, la montée en flèche de la demande en livraison accélérée a entraîné une croissance phénoménale, et le chiffre d’affaires a explosé, passant de 65 000 $ en 2015 à 24,2 M$ en 2019. Sous l’impulsion de la pandémie, 2020 reste une année record, avec 43,5 M$. Et pour les deux premiers mois de 2021, le volume a plus que doublé par rapport à 2020. Des résultats spectaculaires.

Le répartiteur Paul Cimoroni, embauché il y a trois ans, d’abord chauffeur, puis trieur, a été le témoin de cette expansion. À l’époque, lui et ses collègues livraient entre 500 et 1 000 colis par jour, triés à la main. À présent, sous sa supervision, jour après jour, entre 10 000 et 20 000 colis sont traités, sélectionnés et acheminés grâce à des systèmes informatiques bien rodés. 

À l’heure actuelle, quelque 350 chauffeurs livrent environ 50 000 paquets par jour, surtout dans la grande région métropolitaine qui gravite autour de Toronto, sur les rives ouest du lac Ontario, d’Oshawa à St. Catharines. « Au début, j’étais seul avec un collègue à parcourir l’entrepôt, d’une palette à l’autre, raconte Paul Cimoroni. On prenait un paquet marqué M6H et on le mettait à part, avec d’autres colis du même code postal. Évidemment, aujourd’hui, on serait submergés, il a fallu automatiser. » 

Désormais, FleetOptics utilise son système interne pour numériser et trier les colis, répartis dans des chariots roulants, à leur tour numérisés et affectés à des itinéraires précis. Matinal, Paul Cimoroni se présente à son poste vers 5 h 30 et examine l’horaire. En général, de 80 à 100 trajets sont prévus, un par chauffeur. Auparavant, tous arrivaient en même temps, le matin, mais ils se rendent dorénavant au travail par vagues de 25 à 30. On leur remet le numéro de leur itinéraire, et ils se dirigent vers les casiers numérotés correspondants, où ils récupèrent leur chargement.

La COVID-19 a fait bondir la demande, certes, mais s’est accompagnée d’un cortège de complications logistiques. Comme l’explique Vince Buckley, l’entreprise a dû reconfigurer son système de convoyeurs pour laisser plus d’espace entre les préposés au triage et ménager la distanciation exigée. Pour certains, le nombre d’heures de travail a augmenté. FleetOptics a mis en place des protocoles stricts : prise de la température des travailleurs, port du masque et de la visière, éloignement, rien n’a été laissé au hasard. Les chauffeurs ne sont plus tenus d’obtenir une signature à la livraison, pour réduire les contacts avec la clientèle. Des mesures probantes, car depuis le début de l’année, il n’y a eu que six cas de COVID-19 pour environ 450 employés.

Le conducteur de FleetOptics en voiture en route pour une livraisonEn général, de 80 à 100 trajets sont prévus par jour, un par chauffeur. (Photo Aaron Wynia)

Tania Correia, chauffeuse-livreuse à FleetOptics depuis octobre 2020 et maman d’un écolier, souligne que l’entreprise se montre accommodante. Pour les quarts de travail et l’aménagement des horaires, c’est du sur-mesure. « Un bel avantage », selon Tania Correia, qui se réveille à 4 h 50 pour arriver au centre de tri 15 minutes avant son quart, qui débute à 6 h. Après avoir reçu son itinéraire, elle trouve le chariot numéroté qui contient ses colis, charge son véhicule (il faut soigneusement agencer les paquets selon l’ordre de livraison) et, munie d’un dispositif de suivi, prend la route. Depuis l’arrivée de la COVID-19, les rues se vident en ville. Tant mieux, car Tania Correia et ses collègues n’ont jamais eu autant de choses à livrer. Et les relations avec les clients ont évolué. « Certains, plutôt méfiants, hésitent à ouvrir, et je les comprends, mais on doit parfois leur remettre le paquet en main propre. » Souvent, au contraire, l’accueil est chaleureux. « On nous laisse même une boisson ou une collation en guise de remerciement. C’est vraiment gentil, mais j’avoue qu’on n’y touche pas. » Dans certains cas, le chauffeur devient une planche de salut, un lien avec l’extérieur. « Il y a quelques jours, j’ai livré un colis à une dame qui n’était pas sortie de chez elle depuis des semaines. Elle m’a dit : “Oh, mon Dieu, je suis contente de voir quelqu’un!” »   

Comme un vélo qui tomberait s’il arrêtait de rouler, l’entreprise doit aller de l’avant pour garder son équilibre. Le problème, c’est de réussir à suivre des tendances en dents de scie. La demande bondissant et s’effondrant tout aussi vite, on est loin de la courbe progressive et arrondie. « En fait, explique Mike Kee, peu importe la nature de votre offre, sa durée de vie restera en général limitée. » Autrement dit, plus que jamais, FleetOptics, pressée par le temps, sera invitée à intervenir en amont afin de bonifier ses services et de séduire de nouveaux clients, courtisés par les concurrents du « dernier kilomètre ». Peut-être faudra-t-il transformer les camionnettes en outils de marketing mobile et proposer un habillage complet de la carrosserie, sur le modèle de la française Sephora, dont les produits de beauté élégamment présentés sont livrés dans des véhicules à l’effigie de la marque. 

Le pari technologique de FleetOptics lui a valu de connaître une croissance exponentielle : le chiffre d’affaires a grimpé, et l’expansion géographique a suivi. L’an dernier, audacieuse, elle a essaimé dans plusieurs marchés clés. Après avoir créé des entrepôts de transit de 22 000 pi2 à Vancouver et à Montréal, elle est sur le point d’ouvrir des antennes à Ottawa et à Calgary, dans quelques mois. « Les frais généraux restent raisonnables », explique Mike Kee. En tant que CPA, c’est le résultat net qui l’intéresse, et donc, chaque semaine, il examine attentivement la marge par compte et par site. Une approche implacable qui compense le risque inhérent à toute expansion. L’entreprise peut étendre ou contracter son parc d’entrepreneurs à volonté, au rythme de la demande.

Pour nourrir la croissance, ajoute Mike Kee, il faut se pencher sur l’autre atout de FleetOptics, le développement logiciel. Outre son activité principale de livraison, l’entreprise a consacré des ressources à la conception d’une plateforme de suivi virtuel, si bien que tous les intervenants sont au courant des moindres détails de l’acheminement. « Nous désirons poursuivre le développement de la plateforme et l’intégrer davantage aux systèmes de soutien. » En clair, l’entreprise entend élargir les fonctions de l’application FleetOptics. Un jour, les détaillants et les clients verront le chauffeur arriver, seront prévenus par texto, et lui expliqueront où déposer le paquet, par des indications précises, en temps réel.

John Mann songe aussi à mettre les bouchées doubles au chapitre de la durabilité. « Notre objectif? Une stratégie de réduction de l’empreinte carbone, par le recours aux véhicules électriques, en progression. L’IA fera partie de la stratégie, et pour les drones, on verra. »

VENTE AU DÉTAIL : UN SECTEUR LOIN D’ÊTRE LÉTHARGIQUE!

L’essor du commerce électronique s’est accompagné, dans les premiers mois de la pandémie, d’un engouement soudain pour certains types d’articles, notamment les jumelles. Une entreprise canadienne de motos électriques a su tirer parti de l’augmentation des ventes dans son secteur. Et la tendance aux diffusions en direct, pour tenter les consommateurs, est-elle bien ancrée?